On dit souvent, et à juste titre, que les économistes ne doivent pas se poser en oracles, mais la qualité d’un savant se mesure aussi à sa capacité à tenir une pensée cohérente quelles que soient les circonstances, peut-être en vertu d’une intuition prémonitoire. C’est certainement le cas de Lord Mervyn King, gouverneur de la Banque d’Angleterre entre 2003 et 2013 : la décennie qui a vu la transition entre la Grande Modération – faite d’une croissance peu exceptionnelle mais somme toute régulière, accompagnée d’une faible inflation et de taux d’intérêt bas – et la crise financière mondiale, dont les effets sont encore clairement visibles aujourd’hui. Ce fut un réveil apparemment brutal, après que quelques esprits éclairés eurent tenté en vain de freiner l’exubérance de leurs pairs : si l’on considère la signification historique de cette récession, et en paraphrasant l’œuvre la plus célèbre du vulgarisateur Lord King, on peut dire que ce fut “la fin de l’alchimie”.
Cette alarme dès 2021 sur l’inflation et la stagnation
Pourtant, dès le début de l’année 2021, alors que les proportions de l’embrasement inflationniste n’étaient pas encore claires pour tout le monde, le grand économiste (entre-temps honoré de l’Ordre de la Jarretière, le plus haut ordre de chevalerie britannique) nous avait prévenus de ce qui se matérialise aujourd’hui : l’emballement des prix, la stagnation des revenus, la compression de la valeur des actifs en raison de la hausse inévitable des taux.
Une métaphore évocatrice de l’action des banques centrales, utilisée par Lord King il y a quelques années, décrit très efficacement la situation qui s’est créée ces dernières années et qui a certainement été aggravée par les deux grands chocs de ces deux dernières années : la pandémie de Covid-19 et l’invasion russe de l’Ukraine. Nous le rappelons, car il est aussi d’actualité avec le début de la Coupe du monde.
L’action des banquiers centraux comme Maradona contre l’Angleterre
La façon dont l’action des responsables de la politique monétaire est perçue rappellerait les deux buts marqués par Maradona lors de la finale de 1986 contre l’Angleterre : La première, celle de la soi-disant “main de Dieu”, serait une métaphore des vertus prétendument thaumaturgiques (“la magie, le mystère”) des banques centrales ; la seconde, une progression linéaire vers le but, où les adversaires s’attendent à des miettes, nous avertirait que les marchés réagissent à ce qu’ils attendent des autorités, plutôt qu’aux mesures effectivement sur le terrain (notamment en ce qui concerne les taux d’intérêt, souligne King).
Faut-il en conclure que nous devons perdre toute confiance dans l’action du régulateur ? Pas du tout ; il est également important que chacun, à commencer par ceux qui ont des responsabilités décisionnelles importantes, se rende compte que les vieux schémas (pensez à la “règle de Taylor”) ne décrivent plus efficacement la réalité. Nous sommes en effet dans une ère dominée par “l’incertitude radicale”, comme le dit le titre du dernier volume dont King est le co-auteur. Une époque où, beaucoup plus que par le passé, certaines caractéristiques essentielles des agents économiques (donc des systèmes) sont manifestes : le dynamisme intertemporel, l’interconnexion sociale entre les acteurs individuels, l’absence d’objectif optimisateur dans de nombreux choix. Néanmoins, dans certaines circonstances, il serait parfaitement rationnel d’ignorer ce que suggèrent les modèles mathématiques, souvent basés sur une approche probabiliste qui doit être appliquée avec prudence. Malheureusement, cela n’a pas toujours été le cas.
Aide gouvernementale aux entreprises zombies
D’autre part, certaines des questions les plus brûlantes démontrent l’échec des solutions simplistes : par exemple, Lord King attire depuis longtemps l’attention sur la question des entreprises dites “zombies”, c’est-à-dire financièrement délabrées. Elles ne parviennent à fonctionner (ou, à tout le moins, à sortir d’une procédure d’insolvabilité sur la base de la continuité de l’exploitation) que grâce aux aides publiques, qui ont manifestement abondé à l’époque de Covid et dont les effets à moyen terme sont désormais évidents. Par exemple, certaines données montrent comment plusieurs entreprises italiennes ont reçu beaucoup plus de crédits bancaires dans les années 2020-21 que dans les années précédentes, même si elles avaient déjà des difficultés à remplir leurs obligations avant la pandémie. On ne peut pas non plus dire que le phénomène reste confiné à l’Italie : une fois de plus, avec une sagesse différente de la sagesse “conventionnelle” et pour cette raison même plus profonde, Lord King avait raison. Et il est bon pour nous tous que, grâce à son autorité incontestée, il ait au moins trouvé une audience auprès de nombreux décideurs politiques. C’est pour ces raisons que le grand économiste britannique recevra le Prix Bancor, qui fera ses débuts officiels après une longue et minutieuse organisation par l’Association Guido Carli pour la culture économique et politique, sous le patronage de Banca Ifis.
Le Prix Bancor, un rappel de Keynes
En outre, depuis cette première édition, le Prix se configure comme la reconnaissance d’une personnalité pertinente en économie dont l’engagement civique a exercé une influence positive sur le débat public : tant dans la sphère des institutions politiques que dans celle des autorités techniques. Et tout comme Guido Carli, l’inoubliable gouverneur de la Banque d’Italie entre 60 et 75, qui signait à l’époque des éditoriaux salaces pour les journaux de l’Union européenne. L’Espresso sous le pseudonyme de Bancor. Le mot indique ce qui, à une échelle non seulement européenne, devait être le précurseur de l’écu, l’unité de compte dont l’euro est à son tour issu. Le Bancor était une idée, défendue par Keynes et discutée à Bretton Woods, qui aurait accéléré la transformation du système monétaire mondial vers un mécanisme de taux de change fixe garantissant une large liberté de commerce ; le rêve d’une “union monétaire internationale”, à l’époque où l’Europe était déchirée par la guerre, comme aujourd’hui.
En l’honneur de Guido Carli
Le prix est une initiative de Federico Carli, président de l’association Guido Carli et professeur extraordinaire de politique économique (UniMarconi), qui a été accueilli avec enthousiasme par Ernesto Fürstenberg Fassio, président de Banca Ifis, et Sergio Starace, avocat chez Willkie Farr & ; Gallagher. Outre eux, Rainer Masera, doyen de la faculté d’économie de l’université Guglielmo Marconi, Mirella Pellegrini, professeur de droit économique à la Luiss, et Paolo Savona, président de la Consob, composent le jury. La cérémonie aura lieu le jeudi 24 novembre à 18 heures à la Galleria Doria Pamphilj, à Rome, avec accès depuis la Piazza del Collegio Romano. Sur lectio magistralis par Lord King sera suivie d’une laudatio du lauréat, par le professeur Savona, et la remise du prix. L’événement, animé par la journaliste Lucia Annunziata, est sur invitation uniquement, mais nous aurons bientôt l’occasion de discuter publiquement de ce que nous entendrons d’une personnalité aussi précieuse. ()
*Membre du comité scientifique de l’association Guido Carli
Christian Grolier est un rédacteur sport très passionné. Écrire à propos des sports qu‘il adore et partager ses informations avec les lecteurs lui procure une immense satisfaction. En dehors de son travail, il s‘adonne à de nombreuses activités sportives. Il fait de la randonnée, du vélo et de la natation. Il est également un grand fan de football. Christian a également un grand intérêt pour le tennis et les jeux vidéo sportifs.