La BCE en 2024 : baisse des taux, réduction du bilan et nouveau cadre opérationnel. Voici ce à quoi il faut s’attendre

Economie & Finance

L’année 2024 marquera le changement de cap de la BCE en matière de taux d’intérêt, tandis qu’à partir du milieu de l’année, la réduction du bilan s’accélérera et qu’au printemps, le nouveau cadre opérationnel de la banque centrale sera lancé. En 2023, le plus fort resserrement monétaire de l’histoire de l’euro, qui fêtera ses 25 ans en janvier, sera achevé. Entre juillet 2022 et septembre 2023, la BCE a relevé les taux de dépôt de -0,50 % à 4 %. En outre, le bilan a déjà diminué de près de 2 000 milliards (de 8 830 milliards au pic de juin 2022 à 6 900 milliards).

Tout cela dans le but d’éviter une spirale inflationniste déclenchée d’abord par la pandémie, puis par la hausse des prix de l’énergie due à la guerre en Ukraine. 2023 est aussi l’année de la chute brutale de l’inflation dans la zone euro, qui est tombée à 2,4 % en novembre, après avoir culminé à 10,6 % en octobre 2022. Mais cette baisse est la conséquence de la baisse du gaz et du pétrole.

La politique monétaire, qui arrive dans l’économie avec un an et demi de retard, commence à peine à se faire sentir. L’effet maximal se produira dans les prochains mois, lorsque l’inflation se rapprochera à nouveau de l’objectif de 2 %. En décembre, il y aura une augmentation (de 2,9 à 3,1 %) en raison de la comparaison avec les facteurs extraordinaires de l’année précédente. Les données du début de l’année 2024 et les nouvelles projections de la BCE en mars seront décisives. On comprendra alors beaucoup de choses sur les taux. Bientôt, il faudra décider quand les baisser et de combien. À cet égard, la BCE et les marchés ont actuellement des idées différentes.

Les perspectives économiques divisent la BCE et les marchés

La présidente de la BCE, Christine Lagarde, s’est montrée plus attentive à l’augmentation des prix qu’à la croissance, même après le dernier Conseil des gouverneurs du 14 décembre. Lagarde craint en particulier les salaires et l’inflation “domestique”, bien que cette position n’ait pas convaincu les économistes (voir Milano Finanza du 23 décembre). D’autres membres du conseil imaginent une possible reprise de la consommation. Les faucons du Conseil des gouverneurs, menés par Isabel Schnabel, ont longtemps défendu la ligne d’une difficile “dernière ligne droite” de désinflation. Cette ligne a été contredite par les dernières données : même Schnabel a admis qu’elle s’était trompée dans son évaluation des prix. Malgré cela, la BCE n’a pas encore modifié sa politique monétaire. Au contraire, elle a accéléré la réduction de son bilan en réinvestissant moins de titres du plan Pepp contre la pandémie à partir de la mi-2024.

On verra s’il y aura vraiment un dernier kilomètre de désinflation ou plutôt un “dernier mètre” ou une “course de cent mètres”, comme l’ont spéculé Citi et Bnp Paribas. Les faucons veulent reporter la baisse des taux au second semestre de l’année. Les dernières projections de la BCE de décembre, qui font état d’une inflation de 2,7 % en 2024 et de 2,1 % en 2025, vont également dans ce sens. Le taux d’inflation reviendrait à 2 % à partir de la mi-2025.

Cependant, selon les économistes et les analystes de marché, la BCE pourrait être confrontée à une baisse plus rapide de l’inflation. La banque centrale a déjà sous-estimé la baisse de 2023. Dans le même temps, la croissance économique pourrait souffrir du resserrement monétaire plus que prévu par la BCE (qui voit une augmentation du PIB de 0,8 % en 2024). Ce scénario conduirait à une baisse plus forte des taux.

Attentes sur les taux

La plupart des économistes s’attendent à une première baisse en avril. Les marchés monétaires estiment à 70 % la probabilité d’une première baisse en mars, suivie de six autres baisses en 2024. Ce point de vue s’oppose clairement à la position de la BCE qui, contrairement à la Fed, n’a même pas commencé à discuter d’une réduction malgré une économie beaucoup plus faible.

La BCE pourrait donc avoir réagi au choc inflationniste par une restriction excessive. L’évolution de l’inflation montre que la baisse (entre octobre 2022 et novembre 2023) s’est produite à la même vitesse que la hausse (entre octobre 2021 et octobre 2022). Ce mouvement semble indiquer que l’inflation a subi un choc d’approvisionnement lié à l’énergie, qui a duré plus longtemps que prévu en raison de la double crise (pandémie et guerre). La BCE n’a pas réagi pour “freiner la demande”, comme indiqué depuis des mois.

Un resserrement excessif de la BCE endommagerait inutilement l’économie. Le gouverneur de la Banque d’Italie, Fabio Panetta, l’a souligné à plusieurs reprises. Début 2024, la BCE pourrait se retrouver dans une position difficile. Les données du PIB seront publiées au quatrième trimestre 2023 : les indices Pmi ont signalé le début de la récession dans la zone euro. Le crédit, du fait de la pleine transmission de la politique monétaire, pourrait baisser encore plus qu’il ne le fait, notamment en direction des entreprises : dans les prochains mois, un montant important de dettes à taux fixe arrivera à échéance et devra être renouvelé à des coûts plus élevés.

Les politiques gouvernementales seront plus restrictives après des années de dépenses pour faire face aux crises pandémiques et énergétiques, alors que le pacte de stabilité était gelé. L’Allemagne en particulier pourrait être le frein de la zone, en raison de la restructuration nécessaire de l’économie et du resserrement budgétaire auto-imposé par le “frein à la dette”, en particulier après la récente décision de la Cour constitutionnelle allemande. Ce n’est pas une coïncidence si même les banquiers centraux allemands se sont montrés plus prudents dans leurs récentes déclarations. En outre, la BCE risque de devoir s’adapter à une Fed plus dovish : ces derniers jours, l’euro s’est renforcé par rapport au dollar, atteignant son niveau le plus élevé en cinq mois.

Pour la zone euro, il n’y a pas que le risque de croissance : l’inflation pourrait aussi se retrouver en dessous de l’objectif de 2% (elle sera de 1,7% en 2025 pour Citi et de 1,8% pour Unicredit), ce qui serait tout aussi problématique qu’un dépassement de l’objectif. Dans ce cas, la BCE devra réduire ses taux, si ce n’est pas sept fois comme l’indiquent les marchés, certainement plus rapidement que ne le suggèrent les récentes déclarations de Lagarde et des faucons. Les projections de décembre de la BCE ont été jugées optimistes par de nombreux économistes. Le chiffre de la zone euro a été affecté par les prévisions de la Bundesbank pour l’Allemagne, le seul des grands pays à ne pas atteindre une inflation de 2 % en 2025, malgré les difficultés de l’économie allemande.

Réduction du bilan et révision du cadre opérationnel

La révision du Pepp augmentera la réduction du bilan (Quantitative Tightening ou Qt) à partir de la mi-2024. Les banques centrales d’Europe du Nord souhaitent réduire autant que possible les liquidités excédentaires des banques et augmenter les réserves obligatoires afin d’enregistrer moins de pertes. La révision du cadre opérationnel sera achevée au printemps.

M. Schnabel préconise un système “axé sur la demande”, basé sur le refinancement demandé par les banques (aux taux du marché, donc différent des opérations de refinancement à plus long terme), et s’oppose à l’idée de l’économiste en chef Philip Lane d’un portefeuille structurel de titres, une option plus favorable au crédit. M. Lane a fait écho aux indications de certains des meilleurs économistes de la BCE (le directeur de la politique monétaire Massimo Rostagno, Carlo Altavilla et Julian Schumacher) qui ont souligné dans un document : “Un QT neutre devrait fonctionner au rythme prévu jusqu’au milieu de l’année 2026. Ensuite, le bilan devrait recommencer à croître pour financer la croissance séculaire de la demande de passifs de la banque centrale”. Cette question pourrait également devenir un sujet de discussion au sein du conseil d’administration de la BCE en 2024.